
Boniface MABANZA BAMBU : Entre obéissance anticipée et révolte. Actualité de Frantz Fanon dans le contexte des relations économiques entre l´Afrique et l´Europe.. . …………………………………………………………………………………………………………..9
Sophia KREMSER : « Pourquoi ? » Des facteurs du terrorisme à caractère religieux comme phénomène sociopolitique moderne. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 34
Thérèse SAMAKE : La traversée du désert,chemin dedialogue entre l’Afrique et l’Europe. …………………………………………………………………………………………… 45
Sebastian PITTL : European fundamentalism ? The theopolitics of Friedrich August von Hayek and Alain de Benoist……………………………………………………………………….61
Armina OMERIKA : La formation du sens historique comme critère de différenciation des courants islamiques contemporains………………………………………………………. 80
Nathanaël Y. SOEDE : Religion Traditionnelle Africaine et fondamentalisme : Contribution au débat sur la religion et la violence………………………………………… 92
Rodrigue M. NAORTANGAR : Rapport général……………………………………….. 103
Le manque de reconnaissance est la cause récurrente du fondamentalisme. Il ne s’agit pas de cette frustration momentanée que l’on éprouve face à un manque de gratitude, encore moins de cette pathologie propre aux narcissiques. Ce manque de reconnaissance se situe à un niveau plus fondamental, de sorte qu’il est juste de le qualifier de racine du fondamentalisme religieux, politique, voire économique. Comprenons-le comme l’absence de légitimité et de considération sociales. En effet, il remet en cause le droit d’appartenir à sa propre société. Il fabrique des marginaux religieux, politiques et économiques, des membres encombrants et méprisés de la société. On pourrait aller plus loin : l’homme étant un être social, c’est son existence sociale, pire son être même qui est nié, mis en péril. Alors, étant aux abois, luttant pour sa place en société, il se saisit du peu d’options qui lui reste, options qui se résument souvent à la violence physique sinon symbolique ou verbale. Tirer à bout portant sur d’innocents touristes permet au terroriste d’attirer de l’attention, certes sur sa personne, mais aussi sur la cause qu’il veut défendre. Qui grossit le rang des terroristes du Sahel (Mali, Burkina, Niger, Nigéria, Nord Cameroun, Tchad) sinon ceux à qui l’on ne reconnait pas de droit d’accès aux ressources économiques nécessaires à leur subsistance ? Beaucoup de jeunes Occidentaux rejoignent les rangs de l’Etat Islamique parce qu’ils ne se sentent pas reconnus chez eux au motif qu’ils ne seraient pas des Occidentaux « de souche ». Les jeunes des populations subsahariennes ne sont-ils pas prêts à braver l’épreuve du désert saharien et à risquer la mort pour aller en Occident parce que leur droit à une vie heureuse ne leur est pas reconnu chez eux ? Que dire enfin de la montée de l’extrême droite en Europe, sinon qu’elle grossit ses rangs en capitalisant et en orientant la frustration des laissés pour compte vers l’étranger, l’émigré, utilisé comme bouc émissaire ? Pour traiter le mal à sa racine – historique ou sociologique – le dialogue interdisciplinaire reste de mise.Les communications de ce numéro font suite au précédent : elles sont toutes issues de la conférence internationale et interdisciplinaire sur le thème « Mondialisation et fondamentalisme religieux : un défi pour les relations entre l’Afrique et l’Europe ». Organisée par l’ITCJ (Institut de Théologie de la Compagnie de Jésus) et le Centre de Théologie interculturelle et d’Etude des Religions (Université de Salzbourg en Autriche) du 23 au 24 février 2017 sur le Campus de l’ITCJ à Angré-Château, Abidjan, elle avait pour objectif de discuter des nouvelles formes d’un « fondamentalisme/terrorisme religieux » et de les interprêter à la lumière des développements globaux ayant cours dans notre monde globalisé. L’agencement des communications ne suit pas celui de la conférence. Il alterne les communications selon les contextes (européens et africains), les disciplines, mais aussi le genre. Ainsi, tout au long de ce numéro, le lecteur est placé dans un contexte de dialogue interculturel et interdisciplinaire. Quant à l’agencement logique de la conférence, le lecteur pourra le retrouver dans le rapport final.
RESUME DES DIFFERENTS ARTICLES DU NUMERO
Entre obéissance anticipée et révolte. Actualité de Frantz Fanon dans le contexte des relations économiques entre l´Afrique et l´Europe.
Dans le présent article, l’auteur traite d’une cause endogène du fondamentalisme, à savoir l’obéissance anticipée des chefs d’Etat et de gouvernement africains. Il s’agit d’une intériorisation de la domination de l’Afrique dont l’effet consiste à agir comme - sinon pire que - les anciennes puissances coloniales contre son propre peuple. L’auteur soutient qu’il s’agit là d’un terrain fertile à tous genre de fondamentalismes et de terrorismes dont le djihadisme islamiste violent n’est qu’une forme. Le recours à Frantz Fanon permet de mettre en lumière cette interprétation et de rappeler le projet des indépendances initié par les Pères fondateurs mais trahi par bon nombre de leurs successeurs à la tête de pays africains, notamment à travers les accords de partenariat économique en défaveur des Africains.
La traversée du désert, chemin de dialogue entre l’Afrique et l’Europe
La présente communication plaide en faveur d’un nouvel humanisme et d’une nouvelle éthique de la rencontre dans les relations Afrique-Europe. Elle part de la métaphore de la traversée du désert dont les migrants subsahariens à destination de l’Europe font l’expérience : la traversée du désert met le migrant à l’épreuve du temps et de l’espace de sorte que sans persévérance l’objectif ne peut être atteint ; elle confronte aussi au manque de repère, d’enracinement pourtant nécessaires pour s’humaniser. L’Afrique et l’Europe ne peuvent traverser ensemble le désert de la mondialisation et du fondamentalisme que si, avec persévérance, elles construisent dans le concret de leurs cultures un humanisme intégral au-delà de leurs propres réalités, par le dialogue interculturel qui vise un ordre social plus juste et un vivre-ensemble plus harmonieux, et par l’édification d’une intelligence collective de la religion à même de freiner les fondamentalismes qui prospèrent à la faveur de la mondialisation.
La formation du sens historique comme critère de différenciation des courants islamiques contemporains
La présente communication se présente comme une aide à la compréhension du concept d’histoire sous-jacente aux discours « islamiques », concept qui est à la source de leur légitimation. Elle éclaire surtout le rapport épistémique des mouvements « islamiques » à la communauté musulmane primitive. Ce rapport est présenté non sans en montrer l’évolution historique. Il en ressort que ce rapport est un fruit de la rencontre entre la tradition musulmane et le concept d’histoire véhiculé par le Siècle des Lumières ; ce rapport est un fruit de la globalisation de la pensée.
Rapport général Rodrigue M. Naortangar, SJ CERAP et ITCJ – Abidjan
La conférence internationale sur le thème « Mondialisation et fondamentalisme religieux : un défi pour les relations entre l’Afrique et l’Europe » qui s’est tenue au sein du Campus de l’Institut de Théologie de la Compagnie de Jésus (ITCJ) du 23 au 24 février 2017 avait pour objectif de s’interroger sur les interactions entre le fondamentalisme religieux d’une part et les relations entre l’Europe et l’Afrique d’autre part. Se voulant interdisciplinaire et interculturelle afin d’offrir un espace de dialogue ouvert répondant à la complexité de la problématique du fondamentalisme religieux dans un monde globalisé, elle a adopté la progression suivante : après une mise en contexte et une analyse du fondamentalisme religieux dans le contexte de la mondialisation, les problèmes et les défis que pose le fondamentalisme religieux dans les relations Europe-Afrique devaient être identifiés et traités selon les perspectives de l’exégèse, de l’histoire coranique, des rapports économiques entre l’Europe et l’Afrique, de la philosophie, de la théologie et des sciences religieuses. Pour clore le tout, des analyses concrètes de problèmes de sociétés devaient ouvrir des pistes de solutions à même de relever les défis susmentionnés. La transversalité des regards interculturels devait aider à ouvrir des perspectives nouvelles sur les relations entre l’Europe et l’Afrique. C’est également cette progression que le présent rapport final des travaux s’efforce de suivre. Il y ajoute un écho des échanges qui ont eu lieu en plénière sous forme de questions-débats ou de podium de discussion. Il s’achève par les recommandations faites par les participants.
« Pourquoi ? » Des facteurs du terrorisme à caractère religieux comme phénomène sociopolitique moderne
La couverture médiatique du phénomène terroriste au niveau mondial ne renvoie qu’une image impondérée et déformée des rapports présidant à l’émergence de tout terrorisme. La présente communication envisage d’examiner les causes et les facteurs du phénomène sociopolitique qu’est le terrorisme et prend en ligne de mire l’aspect de la motivation religieuse des actions terroristes. Après avoir traité du concept et de la définition du terme « terrorisme », elle replace ce phénomène dans son contexte social de manière à en identifier de possibles causes et facteurs. Par la suite, une focalisation sur la composante religieuse du phénomène terroriste est complétée par une perspective historique. Finalement, la communication recourt à l’ambivalence des religions et des traditions pour identifier ce qui lie la religion au terrorisme. Ce lien n’est pas perçu comme nécessaire, mais contingent et simplement plausible.
European fundamentalism ? The theopolitics of Friedrich August von Hayek and Alain de Benoist
La présente communication examine la pensée de deux figures intellectuelles dont le travail est au centre des idéologies qui peuvent être considérées comme des formes européenes de fondamentalisme : l’économiste autrichien Friedrich August von Hayek, le père fondateur et le plus important théoréticien du néolibéralisme ainsi que le philosophe français Alain de Benoist, intellectuel clé de la « nouvelle droite » européenne. L’auteur déconstruit la matrice théologique cachée qui est au coeur de ces idéologies. Il en fait ressortir la relevance pour la configuration des relations présentes et futures entre l’Afrique et l’Europe tout en analysant ce qui les rend fondamentalistes : il montre ainsi comment les deux idéologies prétendent interpréter la totalité de la réalité en faisant usage de la logique binaire « soit… soit », comment tous deux se réfèrent à une sorte d’être divin, et comment ils s’immunisent contre la critique. L’analyse suggère que le terrain commun aussi bien des formes religieuses que des formes politiques du fondamentalisme ne se retrouvent pas tant dans la référence à une « vérité » spécifique mais dans la volonté elle-même d’avoir des distinctions claires et fortes.
Religion Traditionnelle Africaine et fondamentalisme : Contribution au débat sur la religion et la violence
Le présent exposé examine la propension de la Religion Traditionnelle Africaine (RTA) à se lier au fondamentalisme et à l’extrémisme. Elle remonte aux racines pharaoniques de la RTA, notamment au mythe d’Isis et d’Osiris, pour montrer qu’en ses origines, la RTA n’est pas fondamentaliste. Aujourd’hui encore, l’ouverture religieuse est observée, notamment dans la coexistence de différentes religions dans une même entité sociale. Les traces d’un extrémisme violent sont rares au profit d’un « extrémisme en religion », c’est-à-dire de l’excroissance d’une religion au-delà de ses limites pour des raisons circonstanciées. La rencontre avec l’Occident, avec la tradition judéo-chrétienne, avec l’islam et les enjeux hégémoniques qui accompagnent de telles rencontres ne sont pas sans impacts négatifs sur les sociétés africaines qui tendent à se couper de leurs sources anthropologiques favorables à la diversité religieuse.